Littérature JEUNESSE Flux

Avec Martine DELERM | LE PAYS D'AVANT

 

LE PAYS D'AVANT Martine DELERME

C’est l’histoire d’une petite fille très calme, presque une poupée oubliée dans l’espace. Elle n’a pas de bouche et elle pense aux choses qu’elle doit faire avec un point de vue aiguisé sur la fatalité des événements imminents. Elle fait ce que pratiquement personne ne fait, elle aime ce que probablement personne n’aime avec autant de détails, elle attend le moment qui vient avec une attention démesurée qui devient sa raison de vivre et d’agir. Elle savoure l’idée de ce qui va lui arriver en s’affairant de manière délicate, dynamique et contemplative, un léger sourire en sous-main, à l’exception des événements incongrus comme les vaccins. Au début de l’histoire elle a devant les yeux une vaste bibliothèque dont elle attend un signe d’appel. Les tranches sont vierges, les couleurs sont douces et la taille des livres ne donne aucun indice sur leur contenu. L’important c’est de savoir attendre le moment de choisir et de lire quelque chose qui va tomber sous le sens, ou plutôt tous les sens réunis. Elle semble avoir l’habitude, elle se tient prête.  Camille est « open » comme disent les jeunes d’aujourd’hui, oui d’accord, mais cependant, on nous répète qu’elle préfère ce qu’elle appelle « le pays d’avant ». L’expression est à double - fond, et elle vogue comme un fantôme, depuis le titre.  On comprend vite que pour cette enfant, le temps et l’espace ne sont pas séparés, ils chantent ensemble en tons crémeux, sur le fond valorisant et blanc des double-pages…  « Un instant creux » a la même valeur qu’un bol vide qu’on empile après avoir bu son contenu. Le temps de s’apprêter à boire et le temps d’avoir bu ont un lien charnel entre eux. Et il suffit de changer le verbe des deux phrases qui précèdent pour toucher intimement le mécanisme de la chute trop brutale du temps sur la rêverie en vigueur. Le dessin s’amuse à montrer ce qu’il faut retenir de cette histoire de petite fille ordinaire qui refuse l’écoulement idiot du temps sur les petites saveurs du quotidien, des saisons et des situations. Le temps fond et il sème la confusion des sentiments.  Les volcans-bagages sont une métaphore de tout ce que doit contenir un cerveau pour changer de paysage sans se perdre de vue. Se croire « gardien de phare » n’est pas une idée anodine dans le contexte. Vivre les choses de plus haut mais consentir à les aimer au ras des pâquerettes, devant la mer toujours recommencée, ou un spectacle dont on ne sait rien encore, demain dans sa dégaine de futur relatif... Tout est discret dans cette démonstration de sagesse. Le livre de Martine DELERM prend bien son élan et il est beau à feuilleter avec des mains petites ou grandes, à la recherche du temps rapatrié de l’enfance.

EXTRAIT : 

Avant le retour des vagues, la plage

est immense, on peut marcher vers l'horizon

Perchée sur les rochers, rêver à des tempêtes

Camille aime les marées basses, creuser

des chemins d'eau dans le sable mouillé,

construire des bateaux fragiles.

Avec la marée haute, être mouette, anémone

de mer, se croire gardien de phare. 

Martine DELERM | LE PAYS D'AVANT | Seuil Jeunesse | 2016 | Non paginé.